1881 : Naissance le 16 juin
1906 : Ordonné prêtre
Deux années d’études à Paris
1908 : Vicaire à Louhans
1925 : Délégué de la Direction des Œuvres région Louhans
1929 : Directeur-adjoint des Œuvres
1930 : Chanoine honoraire
1937 : Curé d’Epinac-les-Mines
1947 : Curé de Saint-Pierre de Mâcon
1954 : Officier de la Légion d’Honneur
1956 : Directeur de L’Œuvre de la Jeunesse et aumônier de la Miséricorde
1970 : Retraité à Pont-de-Veyle
1971 : Décède le 22 janvier à l’hôpital de Pont-de-Veyle
Cinq citations à l’ordre de l’armée
Chevalier de la Légion d’Honneur par le maréchal Pétain en 1917
Officier de la Légion d’Honneur par le général Zeller en 1954
A la question du commandant en chef :
« Que faites-vous dans le civil ? »
Le récipiendaire devait répondre :
« Prêtre, mon Général ».
« Vous faites honneur à votre robe ! » commenta le général
Un homme libre
C’est pendant le dur hiver 1942-1943 que j’ai fait la connaissance du Père Falconnet. Je devrais dire la découverte. Passé la soixantaine, il ne se sentait plus à même de taper dans un ballon. Il aurait bien demandé un vicaire, mais il aurait fallu pouvoir le nourrir, en ce temps de « restriction » ; et puis beaucoup de jeunes prêtres étaient en captivité. Voilà comment, venant de Paris mais séminariste à Autun, assez libre de mon temps pour organiser mes études, je fus envoyé chaque semaine à Épinac pour le patro du jeudi.
A Épinac, j’ai découvert un homme. Cet homme portait la barbe ; savez-vous pourquoi ? Avant 1914, avant la lame Gilette et le rasoir jetable, les hommes n’allaient chez le barbier que deux ou trois fois par semaine, et l’on ne demandait pas rendez-vous à son coiffeur par téléphone, comme maintenant. Jérôme Falconnet, lorsqu’il fut nommé vicaire à Louhans en 1908, avait eu l’idée, proprement géniale, d’aller chez un coiffeur tour à tour les lundi, mercredi, vendredi d’une semaine, puis les mardi, jeudi, samedi de la semaine suivante, et ceci pendant six mois. Après cette période, il changeait de coiffeur et recommençait. Ainsi finit-il par connaître, en ces temps où beaucoup « bouffaient du curé », à peu près tous les hommes du milieu populaire de Louhans et des environs.
Août 1914 : à la déclaration de guerre, la paroisse de Louhans compte un curé et trois vicaires. Le curé ne fut pas mobilisé, à cause de son âge. Sur les trois vicaires, l’un était exempté du service militaire à cause de sa mauvaise vue, le Père Falconnet à cause de ses varices, et le troisième, courageusement, passa la frontière suisse. Pour l’Abbé Falconnet, il ne serait pas dit que tous les hommes partent au front sans qu’un prêtre les accompagne ; il s’engagea donc comme brancardier volontaire. C’est ainsi qu’à Verdun, alors qu’il avait déjà Croix de Guerre avec citations et Médaille Militaire sans avoir tiré un seul coup de feu, il fut le premier simple soldat à recevoir la Légion d’Honneur, réservée normalement aux officiers, en raison d’une bravoure légendaire qui le faisait ramper à quelques mètres des lignes ennemies pour ramener un camarade blessé. Il va sans dire qu’en ces années d’occupation, le séminariste que j’étais aimait entendre le curé d’Épinac raconter ses souvenirs de l’époque héroïque des Premières Semaines Sociales, du Sillon de Marc Sangnier, ou tout simplement les hauts faits des copains dans les tranchées. C’était parfois les siens ; lui qui s’y connaissait en vins de Bourgogne mais avait une bonne contenance du simple pinard qu’on servait aux poilus aimait dire « Et les copains disaient : si c’est pas malheureux ! Ca fait deux heures qu’on est saoul et Falconnet boit encore ! Mais il entrait dans cette remarque plus de regrets que d’admiration ».
1918 : l’armistice, c’est le retour à Louhans, comme vicaire ; je n’ai pas connu la belle époque de l’Étoile Louhannaise, ni les premières colonies de vacances à La Chaux-des-Crotenay, il y a plus de 80 ans ! Je laisserai donc à d’autres le soin d’évoquer cette période de créations qui, de bien des manières, fut héroïque elle aussi. Je voudrais dire plutôt que, retrouvant le chanoine Falconnet comme curé de St-Pierre de Mâcon, à la fin des années 40, je retrouvais le même homme cordial et ouvert aux problèmes humains du moment, en particulier à la crise du logement.
1949 : j’arrivais à Mâcon pour prendre en charge l’Œuvre de la Jeunesse qui avait eu un grand rayonnement dès sa fondation et, par la suite, avec l’Abbé Varelle et le Père Captier. Mais un intérim malheureux avait fait que cette maison avait été en partie envahie, on dirait maintenant « squattée », par de pauvres routards et des sortants de prison. Je ne pouvais ignorer cette misère, mais je me devais de rendre cette maison à la jeunesse. C’est ainsi que je fus amené à créer un asile de nuit en plantant une baraque Adrian dans le potager de l’Œuvre. On devine que les problèmes furent multiples avec la police, la municipalité, les gens du quartier, etc. C’est là que je rends grâce au cher Père Falconnet dont j’ai encore à l’oreille le refrain : « Abbé, allez de l’avant. ».
Voilà la devise qui allait me soutenir en quelque sorte pendant dix ans car, trois mois après mon arrivée à l’Œuvre de la Jeunesse, il plut au Conseil d’État de casser l’arrêté d’un ministre qui ne devait pas laisser un grand nom dans l’histoire mais qui avait supprimé les aumôneries dans les lycées où elles avaient fonctionné pendant l’Occupation. Il me fallu donc du jour au lendemain prendre la tâche à bras-le-corps dans toute les classes des lycées et collèges de Mâcon. Elle s’ajoutait au service de la prison, des soldats et du fonctionnement de l’Œuvre de la Jeunesse. Telle un clairon au mois d’août 14, la voix du Père Falconnet résonnait : « Abbé, allez de l’avant… ».
À l’automne 59 : j’étais à Rome en vue de reprendre quelques études. Le Pape Jean XXIII invitait, à l’occasion de ses 80 ans, un prêtre du même âge que lui dans chaque diocèse de France. Les prêtres du diocèse d’Autun souhaitèrent que le Père Falconnet, bien qu’il fût déjà allé à Rome dans sa jeunesse, soit leur représentant. Disposant d’une petite 4 CV, j’étais trop heureux de l’accueillir et de lui faire faire une visite de Rome pas trop classique. Cette semaine-là, le nouvel ambassadeur de France auprès du Saint-Siège recevait dans sa résidence, et je disposais d’une carte d’invitation. Je demandai l’autorisation d’être accompagné du Père Falconnet, ravi de profiter de l’occasion. Je le vois encore montant les marches de la Villa Bonaparte garnies de gendarmes pontificaux puisqu’il y avait moult cardinaux, et le Père Falconnet les toisant de son œil unique comme s’il passait une revue après la victoire.
En haut des marches se trouvait le Cardinal Tisserand, doyen du Sacré Collège, que le Père Falconnet avait déjà rencontré quand le cardinal s’arrêtait parfois à Mâcon pour visiter une vieille cousine. Le cardinal tend la main, le Père Falconnet la saisit et j’entends le cérémoniaire dire avec insistance « Baisez l’anneau, baisez l’anneau ». Et le Père Falconnet de secouer un peu plus la main du prélat en déclarant de sa forte voix : « Il faudra bien qu’ils en perdent l’habitude ! ».
C’est cela que j’ai retenu de trente années et plus d’une grande amitié, malgré notre différence d’âge : j’ai connu un homme libre.
15 avril 1997 – Père Ludovic Rebillard