Il ne s’agit pas d’un événement survenant comme un cheveu sur la soupe, mais c’est au contraire l’aboutissement d’une lente maturation ; depuis bien des années, des éléments constitutifs de la Mission Ouvrière existaient déjà, dans le diocèse, de façon plus ou moins diffuse.
1940-1966, ce sont les années d’épiscopat du père Lebrun ; auparavant, celui-ci avait retenu comme sujet pour sa thèse de doctorat en théologie « l’Action Catholique ». Et comme évêque du diocèse, il donna toute une impulsion forte au développement de mouvements de laïcs, comme la J.O.C., bien sûr, -elle existait déjà-, mais aussi des mouvements d’adultes, aussi bien l’A.C.I que le C.M.R. ou l’A.C.O. Grâce entre autres à l’activité de Lucien Rethy, qui en fut le premier aumônier, des équipes d’A.C.O. se mirent à naître dans les terres ouvrières du diocèse dès la fondation de ce mouvement en France, en 1950.
1949, la Mission de France, déjà implantée à Montchanin, est maintenant présente également depuis trois ans en territoire montcellien, où elle a pris en charge les paroisses de Notre-Dame, La Saule, et Sanvignes. Dans le sillage de l’élan missionnaire déjà insufflé par le chanoine Augros, curé de Montceau-Notre-Dame depuis 1930, et toujours présent sur place, les trois prêtres de la Mission de France qui sont arrivés, Daniel Boureau, René Colliard et Pierre Merlin, se veulent très présents dans la vie sociale, et très proches de la population, Ils sont également porteurs du courant « Paroisses Missionnaires » du père Michonneau. C’est dans ce cadre que peut naître sur Montceau avec l’approbation et le soutien de l’évêque, le père Lebrun : une équipe de prêtres ouvriers, issus également de la Mission de France. Il s’agit de Francis Laval et de Jean Breynaert, rejoint ensuite par Bob Lathuraz : des prêtres qui partagent la vie et les conditions de travail des ouvriers… Leur présence marquera de façon durable tout un monde de travailleurs.
Laïcat organisé, paroisses missionnaires, prêtres ouvriers : tous les principaux ingrédients de la Mission Ouvrière sont déjà bien là très présents dans le diocèse.
1968 arrive, l’esprit du Concile Vatican II a soufflé, et de nouvelles questions surgissent, de nouveaux positionnements aussi. Du côté des religieuses çà bouge également : des communautés font le choix d’habiter en H.L.M., au milieu de cités populaires, par exemple à Montceau, à Chalon, à Mâcon. Et de leur côté, des laïcs de l’A.C.O. sont amenés à s’engager encore davantage dans le mouvement social de l’époque… Mais du coup, ces laïcs ressentent plus fortement des manques de cohérence entre ce qu’ils vivent avec d’autres comme témoins en monde ouvrier, et la pastorale qui est proposée ici ou là au niveau des paroisses : c’est le cas par exemple au Creusot, malgré les efforts de Pierre Brivet, vicaire à Saint-Henri, qui va être le co-fondateur dans le diocèse, avec le père Gautheron, curé de Bois-du-Verne, du GREPO (Groupe de Recherche en Pastorale ouvrière)… C’est ainsi que le Comité Diocésain de l’A.C.O. pressentant les dimensions de la tâche de l’Eglise diocésaine dans le monde ouvrier, partage ses préoccupations à ce sujet avec le nouvel évêque arrivé depuis deux ans, le père Le Bourgeois, et lui demande que soit instituée dans le diocèse la Mission Ouvrière, demande que l’évêque accueille favorablement..
Le 21 Mars 1969, le Conseil Presbytéral, convoqué en Assemblée Générale extraordinaire, se voit saisi d’un projet de préparation diocésaine à la Mission Ouvrière : par 41 oui sur 45 votants, il reçoit favorablement la demande de l’évêque concernant la mise en oeuvre de cette orientation pastorale dans le diocèse. Enfin, après avoir désigné un délégué diocésain pour l’impulser et la coordonner, Mgr Le Bourgeois annonce sa décision d’instituer la Mission Ouvrière, dans une communication officielle (Semaine Religieuse, du 11 octobre 1969), en précisant qu’il s’agit là « pour tout le diocèse d’une orientation pastorale à long terme, mais qui réclame dès maintenant les efforts conjugués de toutes les forces vives : prêtres, religieuses, laïcs ». En même temps, l’évêque convoquait tous ceux-ci à une grande session de pastorale en monde ouvrier… Celle-ci eut lieu sous sa présidence, les 23, 24 et 25 février 1970, à Autun avec une centaine de participants.
A cette époque, suite aux décisions de 1954, l’équipe de prêtres-ouvriers établie sur Montceau n’existe plus (1). Le père Le Bourgeois, conscient de ce manque pour la mission, prend des dispositions pour la mise en œuvre d’un groupe de réflexion sur ce ministère à nouveau autorisé, avec des prêtres se sentant concernés : on retrouve dans ce groupe de recherche, Paul Bernardin, mais aussi Maurice Robergeot, Pierre Vaillier, Jean Desgouttes, Jean Gay, Roger Vernanchet, entre autres… C’est ce qui allait permettre un « nouvel envoi » de prêtres ouvriers dans notre diocèse.
1972 : Il s’agit maintenant de rendre plus efficaces sur le terrain toutes ces orientations qui engagent la pastorale diocésaine Après de multiples consultations, à tous les niveaux, et en particulier l’A.C.I. et l’A.C.O., devant l’ensemble des prêtres et religieuses du Bassin Minier, le père Le Bourgeois érige officiellement la zone pastorale de Montceau en « Secteur de Mission Ouvrière ».
Dans le texte qu’il lit et commente largement durant la journée de travail organisée à cette occasion, on trouve quelques passages significatifs de l’esprit qui sous-tend une telle initiative :
– « Nous avons été formés pour évangéliser des chrétiens : on nous demande aujourd’hui de rencontrer des hommes globalement situés en dehors de l’Eglise, ou qui refusent son influence »
– « Alors on ne peut plus évangéliser à partir d’une Eglise qui cherche à conserver ou à récupérer des personnes dans sa propre institution, mais à partir du Christ qui bâtit partout son Eglise ».
– « On ne peut plus évangéliser à partir d’un contenu de la foi tout fait, qui serait à communiquer… Mais à partir d’une vie dans laquelle l’Esprit du Christ nous précède ».
Dans ce même texte commenté par l’évêque, quelques priorités concrètes sont formulées :
– « Développer et soutenir les mouvements de laïcs, pour multiplier les témoins dans la vie des hommes ».
– « Rencontrer les plus pauvres, les “plus loin“, les militants ».
– « La coordination entre les acteurs de la mission ouvrière n’est que seconde, ce qui ne veut pas dire secondaire ».
Enfin, après la création du secteur de Mission Ouvrière du Bassin Minier en 1972, et dans le même esprit, ce sera en 1983, avec l’impulsion de Gérard Godot, la création officielle de celui du Creusot.
Mais, au-delà de ces deux secteurs plus organisés, c’est bien tout un diocèse qui est en Mission Ouvrière, en cherchant à promouvoir une pastorale d’évangélisation dans les divers secteurs de la vie des hommes.
Mayeul Morin
(1) En 1954, malgré l’opposition affirmée des trois cardinaux français, les pères Lienard (Lille), Feltin (Paris), et Gerlier (Lyon), le Vatican impose aux prêtres ouvriers de cesser tout travail salarié en usine, avec comme motif que celui-ci est incompatible avec le ministère presbytéral, mais encore plus la crainte d’une contamination par le marxisme.
Cette interdiction romaine provoque une grande souffrance pour bon nombre de travailleurs, chrétiens ou non, et pour les prêtres engagés dans cette direction : certains de ceux-ci vont choisir d’abandonner leur ministère pour continuer le travail en usine au milieu des ouvriers.
Il faudra attendre le Concile Vatican II pour que l’Eglise revienne sur cette décision.